La joie de l’Art en folie
Témoignage d'Astrid
L'Expérience - 2015-2016
Quel bol d’air d’avoir cet îlot de créativité, alors que j’ai toujours été invitée à me taire. En premier lieu parce que j’étais une enfant issue d’un milieu bourgeois allemand, ensuite placée dans un internat afin de ne pas déranger. Une fois adulte, je me suis dite « chouette » je pourrai enfin m’exprimer, mais non : au collège il fallait répéter bêtement ce que les autres pensait et au bureau il valait mieux se tenir coite afin de toucher la paye à la fin du mois. Prise dans cet engrainage les hommes dans ma vie m’ont aussi mise au silence, fallait leur laisser la parole, car que le poids du sexe rendait leur cerveau forcément plus performant. Face à ma difficulté à me défendre j’ai même été traitée de folle. Ceci pour vous décrire la chance d’arriver dans un lieu où la folie a sa place d’honneur avec toute la créativité que cela implique.
Je peux m’éclater dans une symphonie de couleurs alors que chez moi je ne suis qu’une ombre. Le pinceau devient le chef d’orchestre et lance sa musique, je l’écoute et me laisse porter par sa mélodie. Je rêve et je crée autant de maisons que le moment m’inspire: des grandes, des petites, des roses et des bleues, je m’accorde même un petit jardin avec vue sur la mer. C’est l’explosion des formes et un moment de liberté exquise. Je peux laisser sortir tout ce que j’ai dû cacher avec force en moi, afin de faire plaisir aux autres.
Parfois, c’est même réussi, les gens trouvent que mes tableaux sont beaux et joyeux. C’est une grande surprise de constater que moi aussi je peux contribuer à l’harmonie par mes œuvres en cherchant un équilibre dans les couleurs, le plein et le vide. J’aime le regard interrogateur lorsque l’on me pose la question dans quel sens il faut le regarder, de laisser le regard de l’autre chercher ce qui est juste pour lui. Quand je laisse libre cours à ma spontanéité l’enfant en moi peut enfin prendre sa place et offrir au monde sont unicité et son droit à la vie. C’est un processus de saut dans le vide où il faut aller au-delà des limites, oser l’erreur, se laisser guider et se transformer au passage.
A l’Expérience, je me suis tout de suite sentie à l’aise. Vous ne pouvez pas imaginer mon étonnement, lors des réunions du mercredi, quand nous faisons le tour de table pour savoir comment chacun se sent, de voir la manière respectueuse dont les propos de chacun sont accueillis. Peut-être que ceux que l’on nomme « les fous » ne sont que le miroir du malaise provoqué par ce monde réglé sur la compétition, le pouvoir et l’argent.
J’ai beaucoup apprécié la prudence des membres à ne pas se permettre des jugements avant de mieux me connaître. Cela a pris du temps pour rentrer dans la complicité, je suis très reconnaissante de me sentir acceptée telle que je suis. Je pense qu’ils savent reconnaitre une blessure de l’âme et le danger des mots qui tuent en profondeur sans laisser de trace. Un précieux enseignement, car sous prétexte de spontanéité les gens lancent des petites flèches et pas celles de Cupidon, celles qui blessent et font perdre la confiance en soi. Les membres savent la responsabilité personnelle que nous avons pour que ce lieu puisse persister et apprécient de vivre ensemble dans cet espace qui nous protège des regards désapprobateurs, un lieu où nous pouvons Etre avec le grand E. Chaque membre régulier est important et s’il y a des absences prolongées nous ressentons le besoin de prendre des nouvelles, j’adore sentir que nous avons tous une place quelque part dans le cœur des autres.
La perspective de faire l’exposition à Belle-Idée a lancé un peu de passion et de fébrilité à l’Atelier, « les exilés de la vie se montrent au grand jour » et le titre de cette exposition « l’Art en folie » est parfaitement adéquat. Cette opportunité de montrer que l’on existe aussi, nous a motivés et tout le monde a participé comme dans une ruche. Cette dynamique a été cadrée dans les règles de l’art. Lors des réunions nous avons pu nous organiser afin que tout le monde ait une place équitable. L’inauguration a été savourée comme du miel et a donné de la valeur à notre travail. J’ai le rêve que les gens qui s’affichent comme plus normaux que les autres, puissent fonctionner de la sorte et que le partage devienne un mode de vie !
Un grand merci à tous ceux qui nous soutiennent, merci de cet outil que l’univers nous met à disposition pour aller au-délà des mots et ma gratitude à toutes les personnes qui font que cette terre soit un lieu où la diversité est accueillie avec joie.