Vieillir… image de soi, images de soi
Témoignage de Simone
A rembobiner 80 ans de vie pour en échafauder son portrait, son image, faudrait-il un, dix ou davantage d’albums photos et vidéos ? Ou serait-il plus judicieux de recourir aux souvenirs de ses proches et à leur mémoire plus jeune ? Un atout d’analyse sans doute… Et encore ! Avec un risque d’améliorer ou de péjorer la réalité car « Qui sommes-nous ? » réellement ?
Et moi, l’octogénaire, « qui suis-je ? »
Durant toutes ces années ai-je été vraie ou ai-je donné le change ? Car, pour chacun, il est tentant de jouer un rôle, des rôles, de se prendre pour le Corbeau de la Fontaine flatté par le « Que vous êtes joli, que vous me semblez beau » ! Sembler, donc faire semblant et paraître, à son avantage, bien sûr. Le fond et la forme ; la justesse et l’adéquation entre le « SOI » et le « MOI…JE ».
Il est agréable de « passer pour » et confortable aussi, voire convenable, d’être -pour moi en tous cas - dans la ligne du « qu’en dira-t-on » et de l’éducation reçue.
Qui suis-je réellement ? Fille aînée d’une fratrie de 4, née durant la guerre, élevée très sévèrement mais aimée (non choyée) autant que faire se pouvait durant cette période plus rude que câline, « dressée » même, je garde de mon enfance à la campagne un très bon souvenir. L’école primaire de mon village, tenue par des sœurs d’Ingenbohl imposant la messe quotidienne a été pour moi le début d’une formation aussi nécessaire que sérieuse. Je ne voudrais en aucun cas être prise au sérieux, justement… Mais obligatoirement - dans ma tête s’entend et dès la première classe - je me devais d’être première ! Je crois avoir vécu une situation assumée, et voulue par moi seule, de concours permanent. Inutile certes mais flatteur tout de même… Puis, grâce à des parents compréhensifs, mes choix : pour enfin légitimer un droit, celui tant attendu d’enseigner !
Toutes ces étapes de vie furent fantastiques et ont, sans aucun doute, forgé mon caractère, pas très souple, je l’avoue ! Pourtant le meilleur et le plus fort dans ma vie de femme était à venir : devenir épouse, mère et grand-mère, et à partir de là vivre comblée depuis plus d’un demi-siècle.
Au total, une vie de bonheur, riche d’émotions, de découvertes, de contacts humains avec, c’est évident, quelques regrets quand même et quelques ratés. Et tant pis pour les difficultés vécues (dont les longues absences répétées d’un époux et père appelé à l’étranger par des contrats de travail, la maladie et l’hospitalisation d’un enfant, l’intégration nécessaire mais finalement très positive à un habitat montagnard). Mais tant mieux pour les innombrables moments de joie, de liens parentaux, fraternels, filiaux, amicaux ! Mon âme n’est pas vaccinée contre ces petits bonheurs indispensables !
Ma vie avance, fonce même, telle un bolide sans ralentisseurs… ; un lego aussi, coloré, complexe et parfois bien sûr compliqué et un peu rude.
Ai-je été vraie ? Ou ai-je malgré moi donné le change ? Les 2 je pense.
Et aujourd’hui ?
Me voici classée, comme tant d’autres « vieux » dans la catégorie « personnes à risque ». Quel risque ? Le pire risque pour moi étant l’isolement, la non communication verbale, le manque d’échanges dans la vie quotidienne.
A ce sujet, le virus Covid a bon dos. Puissant certes et fossoyeur trop souvent, il n’est pas seul à nous distancer des plus jeunes ; la technologie s’en charge oh combien ! Comme beaucoup de mes contemporains, je subis ce fossé évident entre ceux qui savent et ceux qui ne pourront plus savoir ; entre le monde des réseaux sociaux, des ordinateurs à tout faire, des bitcoins, que sais-je encore, et celui d’autrefois, pas forcément plus juste ni plus humain, mais plus abordable pour chacun, semble-t-il. Et en cela j’avoue un peu de nostalgie.
Cependant, sans être ni meilleure ni pire que la précédente, chaque génération doit s’inscrire dans l’histoire de l’humanité ; force est de l’admettre. Dynamique car pleine d’avenir, bousculant nos habitudes par ses idées innovantes, notre relève saura grandir et avancer, cela ne fait aucun doute.
A nous d’accepter les changements qu’elle nous impose et d’essayer de les intégrer.
Simone